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La silhouette passait et repassait derrière le rideau à lanières. Elle imitait le va-et-vient répétitif d’un pendule se balançant de droite à gauche. L’ombre, indistincte, marchait d’un pas assuré qui tranchait avec la démarche lente et désordonnée des morts-vivants.
Braquant son Colt devant lui, Henry avançait prudemment, le regard accroché au rideau comme s’il voulait percer l’opacité des lanières. Il posa le doigt sur la détente, prêt à tirer sur le moindre cadavre qui se présenterait devant lui.
Son arme se faufila entre les lanières qui glissèrent sur le canon, puis sur ses bras et son visage. Il entra. Ses yeux se posèrent immédiatement sur un type en blouse blanche penché au-dessus de Sarah, ligotée à une table chirurgicale. Elle semblait inconsciente. L’inconnu tenait une seringue et s’apprêtait à l’insérer dans le bras de la jeune femme. Surpris par l’intrusion d’Henry, il s’immobilisa.
— Non ! attendez !
Sans un mot, Henry fit feu. Deux balles atteignirent l’homme à la poitrine, éclaboussant sa blouse de sang. Il s’effondra sur un chariot à roulette derrière lui. Alertés par les coups de feu mêlés au son assourdissant des ustensiles chirurgicaux s’entrechoquant sur le sol, Taylor, Stacy et Earl accoururent dans le laboratoire de fortune.
— Qu’est-ce qu’ils t’ont fait, murmura Henry en passant les mains dans les cheveux de Sarah . (Il lui donna de petites claques sur la joue.) Allez… Réveille-toi.
Sarah ouvrit lentement les yeux sur le visage fermé d’Henry. Ce dernier esquissa alors un léger sourire, ravi de la savoir en vie.
— Henry… bredouilla Sarah. T’es venu me sauver !
— Eh oui. Encore une fois.
— Pourquoi ?
— Je te l’ai déjà dit. T’es importante.
Il défit ses liens et la recouvrit avec une chemise trouvée dans un vestiaire dans un coin de la pièce. Sarah se redressa. Elle posa un pied au sol, puis l’autre, et manqua de s’écrouler, faiblarde. L’homme à la blouse blanche, sous les ordres de Salomon, avait prélevé son sang pour transformer les fidèles. Seringue après seringue, goutte après goutte, Sarah avait vu ses forces la quitter peu à peu, sans pour autant la mettre en danger de mort. Salomon voulait la maintenir en vie. Il avait d’autres projets pour elle, des projets qui allaient bien au-delà des murs du Sanctuaire.
Henry passa un bras autour de sa taille et la conduisit à l’extérieur du laboratoire.
— Alors c’est elle ? chuchota Taylor, un sourire serré se dessinant au coin de ses lèvres.
Elle observa Sarah de la tête aux pieds comme une épouse rendue jalouse par les regards déplacés de son mari.
— Avoir un gars prêt à tout pour te sauver les miches, dit Stacy, c’est pas courant !
— J’essaierai de m’en souvenir quand on sera dans la bagnole ! railla Sarah en repensant au moment où elle avait attaqué Henry dans le Hummer militaire pour lui faire perdre le contrôle. (Elle ajouta.) Bon. On fait quoi maintenant ?
— On te sort d’ici, lança Henry en l’aidant à se reposer contre le mur.
— C’est comment là-haut ? demanda Taylor qui ne pouvait pas détourner son regard de Sarah.
— Infesté de zombies ! répondit Stacy.
— Ouais, ajouta Earl. Ces salopards ont envahi le Sanctuaire.
— Mon père a donc mis ses plans à exécution ! Cet enfoiré a transformé tout le monde au nom d’une hallucination.
— Tu veux dire quoi par-là ? lâcha sèchement Henry.
Taylor se sentit tout à coup pointée du doigt par le ton accusateur d’Henry, ou peut-être était-ce la présence de Sarah qui l’agaçait.
— Mon père n’a pas toujours été comme ça, tu sais, dit-elle d’une voix morne. C’était le plus génial des pères et un mari aimant. Il était toujours à l’écoute de ses paroissiens, prêt à les aider sans rien leur demander en retour.
— Et puis, il a changé ?
— Quand tout est parti en couille, il a commencé à avoir des hallucinations. Il voyait en permanence une femme en robe blanche qui lui chuchotait des choses abominables. Il a bien essayé de lutter au début…
— Mais il s’est laissé corrompre, poursuivit Henry.
Taylor opina de la tête.
— Il a pété un plomb, quoi ! rectifia Stacy.
— Et pas qu’un peu ! lança Earl. Il sacrifie des enfants au nom de Dieu. Moi, j’appelle pas ça « péter un plomb », j’appelle ça « devenir un putain de taré » !
— Et il est où en ce moment ? demanda Sarah.
— Quelque part à l’abri, j’imagine, répondit Taylor.
Henry aida Sarah à se relever et dit :
— En tout cas, j’attendrai pas ici une seconde de plus !
Sans attendre, aidée par Henry, elle traversa le couloir et commença à remonter les escaliers. Stacy et Earl leur emboîtèrent le pas. Derrière, Taylor semblait marquée par la conversation. Son père avait commis des choses abominables mais il restait son père. Il était encore présent dans son cœur mais le sentiment d’amour qu’elle éprouvait à son égard s’estompait de plus en plus. Elle parvenait encore à se souvenir des bons moments passés ensemble, mais pour combien de temps. Leur lien était sur le point de rompre.
Arrivée en haut des marches, Stacy, qui avait pris la tête du groupe, lança à la cantonade :
— Par ici !
Sarah s’arrêta brusquement et jeta un œil par-dessus son épaule. La porte de sortie permettant de regagner le hangar se trouvait derrière eux.
— Qu’est-ce qu’il y a ? s’enquit Henry, contraint de s’arrêter à son tour.
— Faut qu’on aille par là.
— La sortie du Sanctuaire est devant nous ! s’exclama Stacy rapidement rattrapée par Taylor.
— Non. Il y a d’autres prisonniers dans la cellule du hangar. On est arrivés ensemble. Je ne peux pas les abandonner.
— Connaissant Salomon, expliqua Earl, ils doivent déjà être morts.
— Il a raison, ajouta Taylor.
— Et s’ils sont toujours en vie !
Henry plongea son regard dans celui de Taylor.
— On a été dans la même situation, il n’y a pas si longtemps que ça.
— Et t’as vu où ça nous a conduit ! rétorqua la jeune femme.
Elle ne connaissait pas Henry depuis très longtemps mais elle savait déjà dans quelle direction le conduiraient ses pas. Il prit la parole.
— Bordel de merde ! (Il s’adressa à Taylor, Stacy et Earl.) Retournez à la bagnole, je vous rejoins au plus vite.
— T’en es sûr ? demanda Taylor, certaine de sa réponse.
— Barrez-vous. J’en ai pas pour très longtemps.
Il fit volte-face et s’éloigna de Sarah. Le visage de la jeune femme s’assombrit brusquement.
— Tu vas où ?
— Chercher les autres, répondit Henry en s’immobilisant tout à coup.
Il ne se retourna pas, tournant le dos à Sarah. Il souffla car il savait pertinemment ce qu’elle s’apprêtait à lui dire.
— Tu te fous de ma gueule, là ! Hors de question de te laisser y aller seul. Je repartirai avec eux !
Elle le rejoignit, traînant difficilement son corps, et lui lança une fois arrivée à sa hauteur :
— Enfoiré !
Elle le dépassa et se traîna jusqu’à la porte menant au hangar. Henry se posta à ses côtés en esquissant un léger sourire, amusé par sa ténacité, et ouvrit la porte. Il enlaça la jeune femme par la taille pour la soutenir et ils sortirent de l’église.
Le reste du groupe se dirigea vers le soupirail par lequel ils étaient entrés. Earl s’extirpa du bâtiment en premier en se hissant par l’ouverture étroite. À peine redressé, il reçut un violent coup sur le crâne et s’effondra. Taylor et Stacy qui le suivaient de près, se hissèrent hors de l’église et tombèrent nez-à-nez avec Salomon. L’homme se tenait au-dessus d’Earl, sonné par le choc, et braquait sur lui le fusil que ce dernier avait lâché dans l’échauffourée. Il pointa l’arme vers les deux jeunes femmes et dit d’une voix théâtrale:
— Où allez-vous comme ça ? J’en ai pas encore terminé avec vous !
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