4
La nuit était tombée. Il pleuvait à verse. Les gouttes de pluie frappaient bruyamment le toit du funérarium et des éclairs zébraient le ciel en grondant furieusement.
Un mort-vivant titubait lentement dans le couloir, l’air hagard. Il releva la tête et maugréa quand la foudre fulgura le corridor. Taylor se dressa derrière lui sans bruit. Elle leva la paire de ciseaux au-dessus de son épaule et la lui planta dans le crâne. Un jet sanguinolent jaillit lorsqu’elle la retira. Le corps du macchabée s’effondra aussitôt.
— Par ici, murmura-t-elle à Henry qui lui emboîtait le pas.
Ils traversèrent le couloir au rythme du tonnerre et parvinrent à la porte par laquelle Taylor était arrivée. Elle jeta un regard vers le hall. Carlos n’était plus là. Elle posa la main sur la poignée et dit :
— Le garage se trouve de l’autre côté du cimetière. Il y a une chapelle un peu plus loin. On la contourne et on y est.
Henry acquiesça d’un hochement de tête. Taylor ouvrit la porte. Un éclair illumina subitement le ciel, l’espace d’une seconde, puis tout redevint sombre. Un coup de tonnerre éclata ensuite, grondant dans l’immensité de la nuit comme l’écho d’un danger à venir.
La pluie s’abattait sur le cimetière. Les zombies chancelaient entre les tombes, dispersés un peu partout dans l’ossuaire. Ils se croisaient parfois sans se regarder, comme des étrangers. Taylor et Henry s’élancèrent hors du funérarium et s’adossèrent contre un caveau. Ils patientèrent un moment. Un cadavre contournait le mausolée comme un garde faisant sa ronde. Il traînait les pieds.
Henry lui agrippa le bras au moment où il parvint à leur hauteur et lui perça le crâne avec sa paire de ciseaux. Il rattrapa le corps avant qu’il ne heurte le sol et l’allongea silencieusement derrière le caveau.
La chapelle, en pierre brute, était visible, à une centaine de mètres de leur position. Un toit à deux versants droits la couvrait, surmonté d’un clocheton. Deux haut-parleurs étaient fixés sur le clocher. Une extension, plus basse, prolongeait l’édifice. Ils le regagnèrent rapidement, se cachant parfois derrière une tombe, puis le contournèrent. Ils se figèrent brusquement. La foudre avait brièvement éclairé une horde de morts-vivants immobile entre le garage et eux. Ils se plaquèrent alors contre le mur et se glissèrent dans la chapelle par la porte de derrière.
— Putain ! s’exclama Taylor en plongeant son regard à travers l’une des fenêtres. On n’y arrivera pas !
Henry leva les yeux au plafond et fixa un escalier en bois.
— Attends. Tout ce qu’il nous faut, c’est attirer ces monstres ailleurs.
— Et comment tu comptes faire ? Crier et partir en courant ?
— Regarde où on est. On ne peut pas rêver mieux comme endroit bruyant !
Taylor leva la tête vers le plafond et comprit.
— T’as raison, putain ! Le clocher !
Ils se hâtèrent à l’étage par l’escalier en bois montant en spiral. Le plancher craquelait sous leurs pas. La cloche en acier était suspendue au-dessus de leurs têtes. Elle était solidement fixée à une barre métallique.
— Ce truc ne bougera jamais ! s’inquiéta Taylor en fixant l’ouvrage.
— De nos jours, répondit Henry, on ne sonne plus les cloches manuellement. Tout est automatique.
Il s’accroupit face à un petit générateur fixé au sol par des écrous.
— Et tu penses sincèrement que ça va marcher ! lança Taylor, dubitative. Le réservoir doit être vide.
— Qui penserait à aller chercher l’essence d’un générateur installé dans une chapelle au beau milieu d’un cimetière en pleine apocalypse zombie ?
— Effectivement. Vu sous cet angle !
Il pressa l’interrupteur d’allumage et tira le démarreur à tirette d’un geste vif. Il réessaya une seconde fois et le générateur vrombit brusquement.
— Bingo !
Il se redressa, fier de lui, et se posta devant un second interrupteur, fixé au mur.
— Je te conseille de te boucher les oreilles ! s’exclama-t-il avec enthousiasme.
Taylor s’exécuta. Henry pressa le bouton. Les haut-parleurs inondèrent aussitôt le cimetière de puissants tintements.
— Ça va rameuter tous les macchabées de la région !
— Et dégager le passage entre nous et le garage, expliqua Henry.
La jeune femme se jeta contre la rambarde en bois du clocher. Les zombies, attirés par le bruit, se dirigeaient vers la chapelle en grognant. La voie était libre. Elle se retourna et lança :
— C’est bon !
Profitant de cette diversion, ils enjambèrent la balustrade et sautèrent sur l’extension qui les mènerait jusqu’au garage. Ils avançaient lentement en prenant garde de ne pas glisser sur les tuiles humides. En contrebas, les morts-vivants s’agglutinaient contre l’édifice, se collant les uns contre les autres. Taylor prit appuie sur le rebord du toit et bondit sur le sol boueux. Henry sauta à son tour.
Les zombies réussirent à briser la porte d’entrée. Ils pénétrèrent en masse dans la chapelle et envahirent la nef en un instant.
Taylor et Henry parcoururent à la hâte les quelques mètres qui les séparaient du garage. L’homme ouvrit la porte et se retrouva face à Carlos qui pointait son arme dans sa direction. Il tira. Henry reçut la balle dans l’épaule et s’effondra.
— Non ! s’écria Taylor, le souffle court.
Carlos fit un pas à l’extérieur du garage en maintenant le canon sur sa cible.
— Ne le tue pas ! ajouta la jeune femme en s’interposant entre les deux hommes.
Tiraillé par la douleur, Henry restait allongé en se tenant l’épaule.
— Viens avec moi ! dit l’homme à la cicatrice.
— Quoi ?
— Viens avec moi et je lui laisse la vie sauve !
— Tu sais très bien que je ne peux pas.
— Dans ce cas, menaça Carlos en allongeant son bras vers Henry.
Taylor l’interrompit avant qu’il ne tire.
— Attends !
Elle se tourna vers Henry et le fixa une seconde, dépitée. Ce dernier comprit aussitôt. Il balbutia :
— T’es pas obligée.
— Bien au contraire, répondit Taylor d’une voix morne.
Elle porta son attention sur Carlos et souffla :
— Ok.
— Tu fais le bon choix, dit l’homme en la tirant vers lui.
Elle le suivit à l’arrière du garage en jetant un dernier regard à Henry. Le fourgon blindé était garé là, à l’abri des zombies.
— Pourquoi tu fais ça ? demanda-t-elle en montant dans l’espace de chargement.
— Je ne fais que suivre les ordres.
— Ce salopard finira par te faire tuer, un jour !
— Peut-être bien. Mais en attendant, il a trouvé un moyen d’accomplir sa mission.
Taylor resta bouche bée.
— Quoi ?
— Eh oui. Il a réussi ! ajouta Carlos.
Il sourit et referma les portes.
Henry fixait avec amertume le fourgon blindé quitter le cimetière. Le véhicule s’engagea sur la nationale et prit la direction du Sanctuaire. L’homme, conscient d’être à découvert, se redressa malgré la douleur et entra dans le garage en chancelant.. Un corbillard était garé. Taylor avait raison. Il ouvrit la portière et s’installa difficilement derrière le volant. Il expira, soulagé.
Les clés n’étaient pas sur le contact. Il ouvrit la boite à gant. Vide. Il abaissa ensuite le pare-soleil et s’étonna de les voir tomber dans sa main. Il gloussa. Il démarra et actionna le portail automatique à l’aide d’une petite télécommande fixée au tableau de bord. Le générateur avait remis le courant dans tout le cimetière. La lumière du perron du funérarium scintillait dans le noir. Le rideau métallique s’éleva. Henry pressa la pédale d’accélérateur et sortit du garage. Quelques zombies, attirés par le vrombissement du moteur, se mirent à poursuivre le corbillard. Le véhicule s’échappa du cimetière en distançant les macchabées et s’inséra sur la route. Henry prit la direction que Taylor lui avait indiquée un peu plus tôt, mais épuisé et blessé, il ne savait pas s’il parviendrait à rejoindre le bunker.
***
Stacy sortit du bunker sous la pluie battante. Elle courut vers la Volvo. Un paquet de couches était resté à l’intérieur. Elle ouvrit la portière mais elle se tourna instinctivement vers le chemin boueux. Une lueur perçait difficilement le voile brumeux. Elle plissa les yeux et reconnut les phares d’un véhicule. Elle sortit alors son arme et s’avança prudemment.
Le corbillard était arrêté sur le bord du chemin, le moteur allumé et les essuie-glaces se balançant de droite à gauche. L’adolescente parvint à sa hauteur mais les vitres, embuées, étaient devenues opaques. Elle tendit alors la main et ouvrit la portière d’un geste rapide, en pointant son arme vers l’intérieur.
— Henry ! s’exclama-t-elle avec étonnement.
L’homme était assis sur le siège, la tête inclinée vers l’arrière. Il ne bougeait plus. Stacy prit son pouls. Il était toujours vivant.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé, putain !
Elle lui agrippa les bras et l’extirpa du véhicule. Son corps tomba lourdement sur le sol fangeux. Elle réussit à le redresser en passant les mains sous ses aisselles et parvint à le tirer difficilement vers le bunker.
5
Assis sur le rebord du lit d’une des chambres du bunker, Henry prit une lampée de vodka et l’avala aussi sec.
— Allez. Vas-y ! grommela-t-il en retenant sa respiration.
Le vieil homme à la canne, assis face à lui, introduisit à nouveau la pince à épiler dans sa blessure à l’épaule. Henry grimaça. Il retourna l’objet dans la plaie saignante et parvint à accrocher la balle incrustée dans la chair. Il tira d’un coup vif et la retira.
Henry gémit de douleur et prit une autre gorgée de vodka. Le vieil homme relâcha la balle dans un plat en inox et dit :
— Voilà. Je pense que ça va aller, maintenant.
Accotée sur le pas de la porte, Stacy croisait les bras.
— C’est un véritable brasier, en bas !
— Ouais, répondit Henry en se tordant le visage de douleur. Phil avait une arme avec lui quand on l’a trouvé. Ce salopard s’en est servi.
— L’enfoiré ! souffla l’adolescente.
— Je vous avais prévenus ! réprimanda le vieil homme comme à son habitude. (Il nettoyait la plaie avec de la gaze.) Je vous avais dit de ne pas descendre !
— Tu peux pas leur reprocher d’avoir essayé de secourir Phil ! rétorqua Stacy.
— Sûrement. Mais regarde, maintenant. Phil est mort et Taylor s’est faite enlever par Carlos. À quoi ça a servi ? À rien.
Il colla une compresse sur l’épaule d’Henry, la fixa avec du ruban adhésif et se redressa. Il plongea ses yeux dans ceux de Stacy et lâcha d’une voix sonnant comme un reproche :
— Qu’est-ce qu’on va faire, maintenant ?
L’adolescente décroisa les bras et fit un pas dans la chambre.
— On va la chercher !
— Euh… Quoi ?
— On ne peut pas la laisser tomber. Si l’un d’entre nous était à sa place, elle n’hésiterait pas une seconde !
— Oh ! se rembrunit aussitôt le vieil homme. Pas si vite. T’as vu ce que ça a donné la dernière fois qu’on a essayé de sauver quelqu’un !
— C’est pas toi le chef ! lança violemment Stacy en le pointant du doigt.
— Doucement.
— J’ai parlé au reste du groupe. Deux personnes sont prêtes à me suivre !
Contrarié, le vieil fronça les sourcils.
— Attends. Tu as convoqué une assemblée sans m’en avertir !
Henry descendit du lit en grimaçant.
— Là n’est pas la question, dit-il en revêtant sa chemise. Taylor m’a sauvé la vie plusieurs fois à l’extérieur. Et mon amie est là-bas aussi. (Il se tourna vers Stacy.) Je viens avec toi !
— Tu entends ! s’exclama l’adolescente en regardant le vieil homme. T’as pas ton mot à dire !
Furieux, le vieil homme frappa violemment sa canne contre le sol sans un mot. Il poussa un gémissement et clopina jusqu’à la sortie. Il quitta la chambre. Henry s’avança vers l’adolescente.
— C’est quoi son problème ?
— Il est inquiet, c’est tout. Il n’est pas méchant. (Elle sortit le Colt du tiroir de la table de chevet et lui tendit.) J’ai trouvé ça dans les vestiaires avant que tout ne parte en fumée. Je pense que c’est à toi.
Henry était ravi d’avoir retrouvé son arme. Il vérifia le chargeur et dit :
— Alors ? T’as un plan ?
— Viens avec moi, répondit Stacy. Je vais tout t’expliquer.
***
La pluie avait cessé. Les nuages se dispersaient, laissant peu à peu la place à un ciel étoilé. Le fourgon blindé traversa le petit pont métallique puis la clairière, et entra dans le Sanctuaire. Il était tard. Le véhicule stoppa devant les portes de l’église. Carlos descendit de voiture et ouvrit l’espace de chargement. Taylor était assise sur le couvre-passage. Elle releva la tête.
— Terminus ! Tout le monde descend ! lança Carlos avec humour.
La jeune femme se leva sans un sourire et descendit du fourgon.
— Tu signes mon arrêt de mort !
— Allons ! répondit le mexicain avec amusement. Arrête de dramatiser, tu veux.
Ils entrèrent dans l’église et longèrent l’allée principale, entre les bancs. Carlos poussa la porte de l’abside.
Salomon était assis à son bureau. Concentré sur une pile de documents, il leva le nez. Son visage s’éclaircit subitement en voyant Taylor.
— Seigneur tout puissant ! Regardez qui voilà !
La jeune femme fit un pas dans la pièce. Elle répondit d’une voix abattue :
— Bonsoir papa.
Fin de l’épisode 8
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