1
— Bonsoir papa.
Carlos quitta la pièce et referma la porte derrière lui. Salomon se redressa. Il fit le tour du bureau d’une démarche assurée et se posta devant sa fille. Son visage se rembrunit soudainement. Un sentiment de colère et d’amertume l’envahit alors. Il leva la main et la gifla violemment.
— Plus jamais ! s’écria-t-il avec véhémence. Tu entends ? (Il se retourna et fit quelques pas vers le bureau.) Tu es ma fille. Ta place est à mes côtés.
— À une époque, répondit Taylor d’une voix tremblante, je l’étais. Aujourd’hui, je ne suis plus qu’une inconnue face à un vieux fou !
Salomon fit brusquement volte-face.
— Un vieux fou ! Dieu ne s’adresse pas aux fous !
— Il ne s’adresse pas à toi non plus.
— Comment tu expliques tout ça, alors ? Comment ai-je pu construire ce Sanctuaire sans l’aide de notre Seigneur ?
— Il ne t’a pas aidé, papa. Tu n’as suivi qu’une hallucination en robe blanche.
— Dieu m’apparaît sous cette forme comme il l’a fait avec le roi David.
Taylor baissa les yeux, dépitée.
— Maman n’aurait jamais voulu ça.
— Ta mère était une femme honorable. Elle est partie beaucoup trop tôt. Si elle avait été là, elle aurait compris ma mission.
— Jamais elle n’aurait cautionné ça ! Tu te cherches des excuses pour justifier toutes tes actions mais au final, tu ne vaux pas mieux qu’un putain de zombie ! Et ton Dieu…
— Notre Dieu ! rectifia aussitôt Salomon.
— Non. Ton Dieu… Tu peux lui dire d’aller se faire foutre !
Les yeux du révérend s’exorbitèrent subitement. Sa bouche se tordit en une grimace ridicule et il explosa de colère. Il se jeta sur Taylor et lui agrippa le cou.
— Tu ne porteras point de jugement sur notre Dieu ! hurla-t-il furieusement. Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras lui seul !
Il comprimait puissamment le cou de la jeune femme en la regardant fixement. Elle n’était plus sa fille à ses yeux. Il voyait en elle une infidèle.
Taylor parvint à le repousser et lui mit un coup de tête au visage. Salomon fit quelques pas en arrière en portant les mains à son nez ensanglanté. Son dos heurta le rebord du bureau. Furieux, il poussa un cri absurde et se rua à nouveau sur sa fille. Dans sa colère, il la frappa violemment au visage, le poing serré. Un autre coup et la jeune femme tituba. Profitant de cet avantage, il se saisit du col de sa chemise et la balança violemment contre le grand miroir qui se brisa sous son poids. Des morceaux de verre s’éparpillèrent aussitôt sur le sol.
Taylor leva mollement le bras et parvint à accrocher le bord du bureau. Elle se redressa, le visage sanguinolent. Elle prit un stylo et pivota maladroitement vers Salomon. Rassemblant les dernières forces qui lui restaient, elle pointa l’objet dans sa direction et l’agita faiblement.
Le révérend réussit sans mal à attraper son bras, la tira brusquement vers lui et plaça sa jambe derrière la sienne. D’un geste assuré et préparé, il balaya le corps de la jeune femme. Cette dernière s’effondra durement sur le sol.
— Tu ne gagneras pas. Dieu me protège.
— Qu’il aille se faire enculer… balbutia Taylor.
Salomon la releva brutalement et l’allongea sur le bureau. Il leva le poing et frappa son visage. Puis il la roua de coups. La jeune femme perdit rapidement connaissance. Elle ne contrôlait plus rien. Son corps soubresautait au rythme des coups.
Le regard du révérend se posa instinctivement sur une paire de ciseaux. Il s’en saisit et la leva au-dessus de son épaule. Il l’abattit vers la poitrine de Taylor mais Carlos, arrivé par derrière, le retint.
— Ne faites pas ça, dit-il en serrant son bras.
Salomon se défit de son étreinte en ramenant violemment son bras vers lui et s’écarta de Taylor. Il jeta un regard furibond à Carlos et s’exclama avec autorité :
— Emmène la hors d’ici ! Je ne veux plus la voir.
Carlos opina de la tête et se dressa au-dessus de la jeune femme. Il la prit par la taille et la posa sur son épaule comme un vieux tapis. Il sortit ensuite de la pièce.
Salomon jeta la paire de ciseaux avec colère. Il s’appuya sur le bureau, les mains tremblantes.
— Qu’est-ce que j’ai failli faire ! dit-il dans un moment de lucidité.
— Ta fille a vécu avec les infidèles. Elle n’est plus des nôtres.
Salomon se retourna, surpris. La femme à la longue robe se tenait devant lui.
— Pourquoi ne pas lui expliquer ? Pourquoi vous ne vous montrez pas à elle ?
— Parce que je t’ai choisi. Toi seul peux accomplir mes desseins.
— Mais elle est ma fille. La seule famille qu’il me reste…
— Rappelle-toi, Salomon, du premier jour de notre rencontre. Souviens-toi de ce moment.
Salomon ferma les yeux, inspira profondément et replongea dans ses souvenirs…
2
Auburn, Massachussetts
65 kilomètres à l’ouest de Boston.
28 mois plus tôt.
— Le mariage est un acte de foi important dans la vie d’un croyant, dit Salomon au jeune couple assis face à lui, dans le bureau de son église. Il est le point de départ d’une nouvelle vie dans la chrétienté. Pourquoi vouloir vous marier dans cette église ?
Le jeune homme posa tendrement les yeux sur sa fiancée. Il reporta ensuite son attention sur le révérend.
— Mes parents se sont mariés ici, répondit-il avec beaucoup d’émotion. Ils ne sont plus de ce monde aujourd’hui. Je tenais à leur rendre hommage.
— Nous n’avons pas hésité une seule seconde, ajouta la jeune femme en prenant la main de son futur époux.
— C’est une belle preuve d’amour envers vos parents, dit Salomon en retirant inconsciemment ses lunettes. (Il les porta à la bouche et mordilla une branche.) A priori, il n’y aura pas de problème. Je dois toutefois vous faire remplir le questionnaire d’usage… (Il fouilla dans le tiroir.) qui doit être par là.
Bethsabée, sa femme, entra tout à coup dans le bureau, embarrassée.
— Salomon ! lança-t-elle. Le shérif est là.
Le shérif Cahill entra dans la pièce d’un pas décidé, la main posée sur son ceinturon. C’était un homme robuste, les cheveux retombant sur ses épaules et attachés en queue-de-cheval. Sa barbe de trois jours et son nez incurvé lui donnaient un air sévère.
— Shérif ! s’exclama Salomon en se levant, surpris.
— Je suis désolé de vous déranger, dit Cahill en se postant derrière le jeune couple. J’ai besoin de vous immédiatement.
— Mais je suis en plein entretien !
— C’est une question de vie ou de mort, révérend !
***
Le véhicule traversa la ville en brûlant tous les feux rouges, sirènes hurlantes. Assis côté passager, Salomon se cramponnait à la poignée de sécurité. Sa tête pivota vers Cahill mais ses yeux inquiets restèrent fixés sur la route.
— Vous allez m’expliquer maintenant ?
— Scott Hale ! Vous le connaissez ?
— Oui, répondit Salomon, intrigué. Scott fait partie de mes paroissiens… Pourquoi ?
— Il y a environ une heure, il a pris sa femme et son fils en otage et menace de les abattre.
La révérend resta sans voix un instant, abasourdi par la nouvelle. Puis il balbutia :
— Mais pourquoi ?
— Ça, je l’ignore. C’est d’ailleurs pour ça que vous êtes là.
— Ah bon…
— Il vous a demandé personnellement. Il ne veut parler qu’à vous.
Le véhicule entra dans un quartier résidentiel situé au nord de la ville. Des dizaines de badauds s’étaient massés derrière les cordons de sécurité mis en place par la police. Six patrouilles étaient déjà là ainsi que le camion de l’unité d’intervention d’urgence du comté de Worcester.
Cahill se gara. Il s’élança hors du véhicule et se dirigea vers le camion d’un pas rapide. Salomon sortit à son tour. Il fut immédiatement transpercé par les regards des badauds, surpris par la présence du révérend.
— Par ici ! héla Cahill par-dessus les chuchotements interrogateurs de la foule.
Salomon le rejoignit. Ils entrèrent dans le camion d’intervention. Un type taillé comme une armoire à glace et vêtu d’un gilet par balle s’époumonait dans le combiné du téléphone du poste de contrôle. Sa voix rocailleuse inondait le véhicule.
— Écoutez… Ne faites pas de connerie… Je comprends mais… (Il raccrocha.) Quel enfoiré !
Salomon et Cahill entrèrent dans son champ de vision.
— Vous êtes qui, vous ? s’étonna-t-il en voyant le révérend.
— C’est le révérend Salomon, capitaine, expliqua le shérif.
— Ah oui. Enchanté.
Le type se saisit de la main de Salomon et lui donna une poignée virile.
— Je suis le capitaine Reiniger, chef de l’unité d’intervention du comté de Worcester.
— C’est quoi l’histoire ?
— Hale s’est enfermé chez lui et menace sa famille avec une arme.
— Pourquoi ?
— Aucune idée. Une voisine a contacté le central il y a une heure à cause de cris provenant de la maison. Deux officiers se sont alors présentés et Hale leur a tiré dessus sans raison apparente.
— Je ne comprends pas. Scott n’est pas quelqu’un de violent. C’est un bon père de famille et un travailleur modeste.
— Faut croire que quelque chose l’a sacrément foutu en pétard !
— Non. (Il marqua une pause et reprit.) Quelles sont ses exigences ?
— Il n’en a aucune, le salopard. Il veut simplement vous parler. (Reiniger prit le combiné du téléphone et le tendit au révérend.) A vous de jouer !
Salomon le prit avec beaucoup d’hésitation.
— Attendez… Je lui dis quoi ?
— Essayez simplement de gagner du temps. Dites-lui que vous comprenez sa situation et que vous ferez tout pour l’aider. C’est votre job, non, d’embobiner les gens !
Sans conviction et un tantinet agacé par les propos de Reiniger, Salomon porta le combiné à son oreille. Il patienta un instant, une voix hésitante décrocha.
— Allô !
— Scott ? C’est le révérend Salomon.
— Ah ! Mon Révérend. Enfin.
— Qu’est-ce qu’il se passe, Scott ? Ils disent que tu menaces de tuer ta famille !
— C’est à cause d’elle ! Elle me chuchote des choses abominables ! Aidez-moi, révérend. Je vous en supplie.
— Pour pouvoir t’aider, je dois te voir. Il va falloir que tu sortes.
— Je ne peux pas.
— Pourquoi ?
— Parce qu’elle ne veut pas.
— De qui tu parles ?
Hale raccrocha subitement.
— Et merde ! s’exclama Reineger. Sale enfoiré de putain d’enfoiré de merde ! (Il prit un talkie-walkie posé sur la console et l’approcha de ses lèvres en regardant fixement le révérend.) Équipe sur le toit… vous êtes en place ?
— Ici équipe sur le toit. En stand-by, capitaine.
— Quelle est la situation ?
— Les otages sont dans le salon. La cible est armée et agitée.
Reiniger se tourna vers le shérif.
— On a un angle de tir ?
— Attendez, s’interposa aussitôt Salomon. Vous n’allez quand même pas le descendre !
— Vous l’avez entendu aussi bien que moi, se rembrunit le capitaine. Il est incontrôlable !
Salomon souffla et lâcha brusquement :
— Je vais y aller.
— Hors de question.
— C’est la seule solution pour éviter un bain de sang. Je suis certain de pouvoir le faire sortir sans violence.
— On ne pourra pas garantir votre sécurité une fois à l’intérieur.
— Il ne m’arrivera rien.
Reiniger se retourna pour réfléchir et posa un regard perplexe sur Cahill.
— Je n’ai pas pour habitude de laisser un civil aller au combat.
— Écoutez, ajouta Salomon. Si je n’y vais pas, Scott tuera sa famille et si vous intervenez, c’est lui qui mourra. Ne donnons pas à tous ces gens dehors un spectacle macabre.
— Vous êtes certain de pouvoir le faire sortir ?
— Comme vous l’avez dit, c’est mon job d’embobiner les gens.
Le capitaine esquissa un sourire. Il lâcha un soupir et dit :
— Ok, révérend. Vous y allez.
***
Le shérif Cahill colla un micro sur le torse de Salomon. Il boutonna sa chemise et dit :
— On reste à l’écoute. S’il y a un problème, on intervient.
— Ne soyez pas aussi inquiet. Il ne m’arrivera rien.
— Comment en êtes-vous si sûr ?
— Dieu est avec moi.
***
Le soleil déclinait à l’horizon. Les couleurs orangers du crépuscule teintaient le ciel. Salomon avançait d’un pas hésitant vers la maison. À l’extérieur, les badauds avaient tous les yeux braqué sur lui. Il gravit les quelques marches du perron et entra.
— Scott ! C’est le révérend ! annonça Salomon depuis l’entrée.
L’atmosphère était pesante. Un sentiment malsain pesait sur la demeure. Le révérend traversa un étroit couloir et se retrouva directement dans le salon. Scott Hale se tenait debout face à sa femme et son fils, recroquevillés de terreur sur le fauteuil. Il brandissait une arme en vociférant.
— Scott… balbutia Salomon, les deux mains levées.
Le forcené se retourna brusquement. Des gouttes de transpiration perlaient sur son front. Il avait les joues creuses et d’énormes poches sous les yeux. Il haletait.
— Révérend. Vous êtes là !
— On est tous inquiet pour toi. La police est là, dehors.
Hale jeta un œil par la fenêtre en écartant le store du bout des doigts. Salomon s’adressa à la femme et au garçon.
— Vous allez bien, murmura-t-il.
Ils hochèrent timidement la tête.
— Je ne voulais pas en arriver là, bredouilla Hale en s’écarta de la fenêtre.
— Qu’est-ce qu’il se passe ?
— Elle n’arrête pas de me chuchoter des choses.
— Qui ?
— La femme à la robe blanche.
Il se tourna subitement vers un coin de la pièce et s’écria :
— Fermez-la ! Je ne ferai pas ça, entendu ! (Il patienta une seconde et dit avec véhémence.) Non ! Jamais !
— A qui tu parles ? s’étonna Salomon.
Hale reporta son attention sur le révérend.
— A elle ! (Il désigna un endroit vide de la pièce.) Elle ne veut pas partir !
Le révérend comprit qu’il était frappé d’hallucinations.
— Qu’est-ce qu’elle te demande ?
— De faire des choses abominables.
— Il faut lutter, mon fils. Le diable est présent en chacun de nous. Il ne faut pas l’écouter.
Hale lâcha tout à coup un sourire et fixa Salomon.
— Vous vous trompez, Révérend. C’est pas le diable. C’est Dieu qui me parle.
Il se retourna, fit un pas en avant en levant son arme et abattit sa famille de plusieurs balles dans la poitrine. Les détonations résonnèrent dans tout le quartier et terrifièrent brusquement les badauds. Salomon tituba en arrière, choqué. Hale colla ensuite l’arme sous son menton et pressa la détente en regardant fixement le révérend. Sa cervelle éclaboussa le plafond et il s’effondra.
Les forces de l’ordre pénétrèrent aussitôt dans la maison mais il était trop tard. Le bain de sang que Salomon voulait éviter avait finalement eu lieu.
***
La nuit était tombée sur la ville. Les journalistes avaient envahi la rue et s’étaient tous massés autour de Reiniger qu’ils interviewaient. Salomon était assis sur les marches du perron, le haut de sa chemise dégrafée. Il tenait le micro entre les mains et le fixait avec amertume. Cahill se posta devant lui et posa une main sur son épaule.
— Parfois, même avec toute la volonté du monde, on ne peut pas éviter le pire. Il faut simplement savoir l’accepter.
— Vous avez sans doute raison, répondit Salomon en esquissant un sourire.
Il releva la tête et aperçut Bethsabée et Taylor parmi la foule. Elles semblaient inquiètes. L’homme inspira de soulagement en les apercevant mais son visage se rembrunit tout à coup quand une femme attira son attention. Elle marchait derrière les badauds et le regardait avec insistance. Elle avait de longs cheveux bruns et portait une robe blanche…
Pour suivre l’actualité de The Last Survivors, n’oubliez pas de liker sa page Facebook.
2 commentaires
Wow elle devient vraiment intéressante l’histoire de Salomon. Autant avant, les parties le concernant m’ennuyait un peu (c’est un personnage particulièrement antipatique), autant là, la femme à la robe blanche m’intrigue énormément. J’ai hâte d’en savoir plus !
Pauvre Taylor, ce qu’elle s’est pris en pleine tête…
J’aime ton petit hommage à Scott H Reiniger
Ah… Une fan de Zombie! Bravo pour avoir fait le rapprochement.