Episode 12 – La récolte des morts
La fillette qui avait fui la crèche tenait le nourrisson dans ses bras. Elle le protégeait comme une mère protège son enfant. Les trois autres gamins, une fille et un garçon d’à peine cinq ou six ans, et un jeune adolescent d’une douzaine d’années, restaient immobiles à ses côtés.
— N’ayez pas peur… dit Stacy en rangeant son arme à sa ceinture.
L’adolescent sortit tout à coup un couteau de la poche de son veston déchiré et le pointa vers la jeune fille.
— N’avancez pas ou je vous plante !
— Hé ! s’exclama Sarah, restée en retrait. Pas la peine de s’emballer ! On vous veut aucun mal.
— N’avancez pas, bande de pétasses !
— Oh ! Surveille ton langage, tu veux !
— Rien à foutre.
Le nourrisson se mit brusquement à pleurer.
— Elle va attirer les monstres ! lança le garçon en portant son attention sur le bébé. Fais la taire !
— Elle a faim, répondit la fillette qui berçait le nourrisson sans parvenir à le calmer. On n’a rien à lui donner.
Stacy sortit aussitôt du wagon et dit à Sarah :
— Attends là une seconde.
Elle quitta l’entrepôt et revint une minute plus tard, son sac à dos tenu en bandoulière. Elle se posta face aux enfants dans le wagon et fit basculer le sac par-dessus son épaule sous leurs regards inquiets. Elle en sortit un biberon, une boite de lait en poudre et une petite bouteille d’eau trouvés dans la crèche et prépara la mixture avec beaucoup d’assurance. Elle avait l’habitude et ce geste quotidien était devenu un réflexe. Elle secoua ensuite le biberon pour diluer la poudre dans l’eau et le tendit à la fillette. Cette dernière fit un pas timide vers Stacy.
— Attends ! dit l’adolescent, sa main crispée sur le couteau. Ne fais pas ça !
La fillette se saisit de l’objet et inséra sans attendre la tétine entre les petites lèvres du nourrisson. Ses pleurs cessèrent aussitôt. Le garçon baissa alors sa garde et poussa un soupir de soulagement.
***
Adossée au wagon, Sarah observait le groupe d’enfants. Tandis que le garçon rangeait les boites de lait en poudre et les bouteilles d’eau que Stacy lui avait données dans une vieille valise trouvée dans la rue, la fillette, assise sur une vieille chaise à roulette, terminait de donner le biberon au nourrisson. Les deux autres enfants se couraient après dans l’entrepôt au rythme de leurs rires innocents.
Stacy, qui avait jeté un œil à l’extérieur du hangar pour s’assurer que les pleurs du bébé n’avaient pas attiré des zombies affamés, rejoignit Sarah.
— Pas l’ombre d’un mort-vivant à l’horizon.
— Tant mieux, répondit Sarah, les bras croisés. Qu’est-ce qu’on va faire d’eux, maintenant ?
— Je sais pas.
— Pourquoi pas les ramener au bunker ? Ils y seront certainement plus en sécurité qu’ici.
— Ouais. Je suis pas contre mais je connais ce genre de gamins. J’ai été comme eux à une époque.
— Tu veux dire quoi par-là ?
— Regarde autour de toi. Ils n’ont pratiquement rien mais ici, c’est chez eux. Ça sera dur de le leur faire quitter.
— T’appelles ça un chez-toi, toi ? C’est un dépotoir !
— Ouais mais ils sont chez eux.
Une fois ses affaires rangées, le garçon s’approcha timidement des deux jeunes femmes.
— Merci.
— Ça fait longtemps que vous vivez ici ? demanda Stacy.
— Je sais pas. J’ai pas compté.
— Et vos parents ? Ils sont où ?
Sans un mot, le garçon pointa son doigt vers une porte, dans le fond du hangar. Ses yeux plongèrent dans une grande tristesse. Il dut se mordre les lèvres pour s’empêcher de pleurer. Sans attendre, Stacy se dirigea vers la mystérieuse porte. Elle devait savoir. Elle posa une main sur la poignée. Les deux enfants qui jouaient dans l’entrepôt s’immobilisèrent tout à coup et fixèrent la jeune femme avec désarroi. La fillette releva la tête et posa ses yeux sur la porte.
L’adolescente sortit son arme et tira lentement la porte. Elle braquait le pistolet vers l’intérieur de la pièce qui s’ouvrait devant elle quand une odeur pestilentielle s’échappa, l’obligeant à se couvrir le nez.
La salle servait autrefois d’espace de rangement pour les pièces métalliques de rechange des wagons. Plusieurs étagères stockaient des têtes d’attelage, des essieux et tout autres accessoires. Une épaisse couche de poussière recouvrait le matériel et des toiles d’araignées tapissaient toute la pièce.
Stacy rengaina son arme. Deux corps étaient étendus sur le sol, recouverts d’un drap marron. Le garçon rejoignit l’adolescente et dit tristement :
— Ils se sont fait mordre il y a un petit moment déjà. J’ai dû m’occuper d’eux.
— Vous n’auriez jamais dû vivre ça, lâcha Stacy, les yeux fixés sur les corps. Comment vous êtes restés en vie ?
— Viens. Je vais te montrer.
Le garçon empoigna la main de Stacy et la tira hors du hangar.
***
Stacy, accompagnée du jeune garçon, s’était éloignée du hangar. Après avoir traversé un épais fourré, ils empruntèrent un sentier terreux qui descendait vers un champ d’herbes hautes. Ils avançaient, écrasant les plants à chaque pas et parvinrent là où le garçon voulait la conduire.
Stacy était émerveillée. Un petit potager se dessinait devant elle. Il y avait des tomates, des carottes, des pommes de terre, tout ce qu’il fallait pour préparer un repas de fête. Il y avait aussi un figuier et un pommier. C’était un véritable havre de paix.
— Quoi ! C’est toi qui as planté tout ça ?
— Non. Quand on est arrivés ici, on l’a trouvé comme ça. C’est pour ça qu’on est restés ici.
— La personne à qui appartient ce potager est certainement…
Elle se ravisa tout à coup, pensant que le garçon n’était pas assez fort pour entendre ce genre de chose. Mais il avait été contraint d’abréger la souffrance de ses parents et les avait recouverts d’un drap. Il avait assez d’expérience pour affronter ce monde.
— Tu peux le dire, dit le garçon en esquissant un sourire. Il est certainement mort, oui.
— Et c’est toi qui l’as entretenu ?
— Oui. Mon père m’a montré comment faire. On survit grâce à ça aujourd’hui.
Stacy avait les yeux rivés sur les tomates. Elle les fixait avec envie. Le garçon l’avait remarqué.
— Vas-y, dit-il avec enthousiasme. Ne fais pas ta timide !
L’adolescente arracha une tomate de son pied et la croqua. Le jus coula sur son menton et macula son tee-shirt.
— Hum… Qu’est-ce que c’est bon ! Ça fait une éternité que j’en ai pas mangée.
Elle se délectait du fruit et le terminait en léchant ses lèvres pour ne pas en perdre une seule miette quand son regard se posa instinctivement sur le champ voisin. Son cœur se serra alors et elle s’accroupit soudainement en tirant le garçon vers elle.
— Qu’est-ce qu’il y a ? s’enquit le jeune adolescent, surpris.
— Ils arrivent, putain. Toute une horde.
Une horde de macchabées titubait dans le champ voisin. Leurs pas les conduisaient par hasard vers le hangar. Stacy et le garçon rampèrent dans le champ d’herbes hautes par lequel ils étaient arrivés. Les zombies étaient déjà dans le potager.
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