Épisode 13 – Le fantôme du passé
Furieux et prêt à se venger des deux rednecks qui l’avaient laissé pour mort sur le terrain, Henry remontait la rue, les mains crispées sur l’arme prise sur le corps du policier zombie. Il parvint rapidement à la maison et s’adossa au véhicule garé en travers du trottoir. Il jeta un coup d’œil rapide par-dessus le capot et courut vers le portillon qui était resté ouvert. Il pénétra dans le jardinet et se faufila jusqu’à la porte d’entrée. Par chance, elle n’était pas verrouillée. Il entra.
Des voix s’élevèrent aussitôt de la cave. Henry comprit que les deux types étaient avec leurs prisonnières.
***
— Putain ! T’as vu ce flingue ! s’enthousiasma le cul-terreux au visage brûlé en fixant le Colt d’Henry, un torchon ensanglanté autour de son moignon.
L’autre type était allongé sur la femme enchaînée à la tuyauterie, son bassin se soulevant et s’abaissant à un rythme soutenu. Concentré sur ce qu’il faisait, il transpirait. La femme n’éprouvait plus aucun sentiment. Elle n’avait aucune réaction. Les mois passés dans cette cave et les sévices qu’elle et sa fille subissaient étaient devenus leur quotidien. Elle se laissait faire sans dire le moindre mot, son visage n’exprimant pas la moindre expression. Sa fille, enceinte, leur tournait le dos, les mains attachées au-dessus de la tête et les yeux noyés de larmes. Elle savait qu’elle serait la prochaine sur la liste.
Une fois son affaire terminée, le type se redressa en remontant son pantalon.
— Merci ma belle ! dit-il en se retournant vers l’autre redneck. Montre-moi ça !
Il lui arracha l’arme des mains.
— Ouais. Ce salopard était bien équipé ! (Son regard se posa sur la blessure de son acolyte.) Comment ça va ?
Il agrippa sauvagement son bras et vérifia le pansement de fortune. Il le relâcha ensuite nonchalamment.
— Mieux. Je ne sens plus rien.
— C’est bien.
L’homme à la main manquante posa tout à coup son regard sur la femme qui s’était retournée contre sa fille. Il semblait réfléchir, sa bouche crasseuse se tordant en une moue ridicule.
— Je viens d’avoir une idée !
Il jeta un dernier regard vers les femmes en ricanant.
— On pourrait essayer le flingue sur une des putes, juste pour voir !
— Ouais… Et on rameute tous les morts de la ville en même temps ! T’es con ou quoi ?
— Oh ! Allez ! Juste une balle.
— C’est vrai que ça pourrait être cool.
— Hyper cool, même ! Ça va être dégueulasse ! Il y aura des morceaux de chair partout !
Son complice hésita un instant mais finit par acquiescer d’un hochement de la tête.
— Yeah ! Ça va être génial ! On prend laquelle ?
— Celle enceinte. Je veux voir son ventre éclater !
La femme, qui avait entendu toute la conversation, enveloppa ses jambes autour de la taille de sa fille. Le rednek avait déjà sorti la clé de la poche de son pantalon. Il déverrouilla le cadenas, retira la chaîne et tira la jeune femme sous les hurlements de sa mère.
— Non ! Laissez-la tranquille !
L’homme la traîna dans les escaliers alors que la femme s’époumonait à les insulter.
— Laissez-la… bande d’enfoirés !
La jeune femme enceinte n’avait pas vu la lumière du jour depuis plusieurs semaines. Le redneck la traîna à l’étage et la relâcha devant la cheminée. Il recula de quelques pas tandis que son acolyte se postait à ses côtés.
— Allez. Lève-toi ! lui ordonna-t-il alors que l’autre type pointait son arme vers elle.
La jeune femme s’exécuta. Son regard plongé dans celui du gars qui tenait le Colt, elle semblait sereine, prête à mourir.
— T’es sûr de vouloir faire ça ? s’enquit l’un des culs-terreux.
— Ouais. Il va y avoir de la chair partout. Ça va être génial !
Il fit un pas en avant et dirigea l’arme vers le ventre arrondi de la jeune femme. Soudain, Henry, arrivé par derrière, lui sectionna la main avec la hache qu’il avait prise un peu plus tôt dans le living-room. Le redneck hurla de douleur et s’écroula contre le mur. Sa main qui tenait l’arme tomba au sol dans une gerbe de sang.
— L’enculé ! Il m’a coupé l’autre main !
Henry balaya la hache de bas en haut vers l’autre type, comme un uppercut, et fendit le visage de sa cible en deux sur toute la longueur. Les deux parties de la tête de l’homme s’écartèrent et s’ouvrirent comme le bec d’un canard. Il s’effondra.
— Putain ! T’es qui, toi ? fulmina le cul-terreux adossé au mur.
Henry s’approcha de lui d’un air furibond. Sans un mot, il tourna la hache, pointant la fine lame vers le haut et, d’un geste précis, la planta dans son crâne. Il se retourna aussitôt vers la jeune femme mais cette dernière le braquait avec le Colt que le redneck avait lâché. Henry leva alors les mains en l’air.
— Je ne te veux aucun mal… bredouilla-t-il, surpris par ce revirement de situation.
— Regarde ce qu’ils ont fait de moi. Regarde dans quel état je suis.
Sa voix tremblait.
— Ils ont mis cette chose en moi. Je peux pas mettre ça au monde ! (Elle ferma les yeux et ajouta.) Dis à ma mère que je l’aime.
Déterminée, elle posa le canon du Colt sur son ventre et pressa la détente.
— Non ! hurla Henry.
Son ventre arrondi explosa, envoyant des morceaux de chair dans toute la pièce. L’impact projeta le corps de la jeune femme en arrière. Elle heurta violemment le plancher sous le regard terrifié d’Henry.
Dans la cave, la femme tirait sur ses chaînes pour se libérer, priant à chaque instant pour sa fille. Henry la rejoignit d’un air triste.
— C’est toi ! s’enthousiasma la femme. T’es revenu nous chercher ? Ma fille. Ils l’ont emmenée !
Henry ne répondit pas, ne sachant pas quoi lui dire. Il sortit la clé des chaînes trouvée dans la poche d’un des deux rednecks et la libéra. La femme se précipita alors à l’étage sans un regard pour son sauveur.
— Maggie !
Henry resta figé, le regard plongé dans le vide. Il sursauta quand les hurlements de la femme percèrent le silence. Elle avait découvert le corps de son enfant.
***
Assis contre le mur de la cave, le canon du Colt posé contre son front, Henry était perdu dans un nuage d’incompréhension. La folie destructrice des morts-vivants n’était rien comparée à l’aliénation des hommes. Le monde était devenu un vaste champ de bataille et, dans sa violence, les survivants agissaient comme des animaux. Sans loi, l’homme perdait toute humanité, faisant ressurgir ses plus bas instincts.
Henry se redressa et remonta à l’étage. La femme pleurait à chaudes larmes, allongée contre le corps de sa fille.
— Ecoute… lâcha Henry, impuissant face à sa détresse.
La femme tourna la tête vers lui et se mit à hurler :
— Barre-toi ! Laisse nous tranquille !
— Mais…
— Barre-toi, j’te dis ! Barre-toi, putain !
Résigné, Henry rangea le Colt à sa ceinture, prit la hache qu’il avait laissée dans le living-room et sortit de la maison, laissant la femme seule face à son chagrin. Il jeta un dernier regard vers la maison et remonta la rue en direction de sa moto, abandonnée sur le parking d’un restaurant à l’entrée de la ville.
Le soleil était à son zénith. Sa chaleur étouffante inondait toute la région. Il n’y avait aucun nuage dans le ciel et pas un souffle de vent. C’était la canicule.
Henry longeait tranquillement les maisons abandonnées. La rue était déserte. Un groupe d’oiseaux traversait le ciel en piaillant. Il tourna à un carrefour et s’engagea sur l’avenue principale. Il s’immobilisa brusquement. Il fit un pas en arrière et se plaqua contre le mur alors que sa respiration s’accélérait.
Il jeta un œil discret dans la rue. La Volvo rouge que Salomon avait volée au Sanctuaire était garée à quelques mètres d’Henry, devant une église.
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