Critique d’Invasion Zombie
Nouveau venu dans la catégorie des essais sur la figure du zombie, Invasion Zombie est sorti en juin 2013 aux éditions le murmure dans la collection Borderline qui regroupe des essais sur la culture pop. Il faut reconnaître que nous avions réservé un accueil plutôt froid à ce livre d’à peine 62 pages. En effet, en apprenant sa sortie nous avions pensé qu’il s’agissait d’un nouvel ouvrage inintéressant et aguicheur cherchant à surfer sur la vague zombie. Nous avons rapidement changé d’avis après l’avoir lu et jeté un oeil à la bi(bli)ographie de son auteur, Antonio Dominguez Leiva.
Professer à l’Université du Québec à Montréal, il est également l’auteur de plusieurs essais aux titres aussi intriguants que Généalogie d’un mythe sexuel, Esthétique de l’éjaculation ou encore Erotisme et cruauté en occident. Autant dire que traiter du zombie signifiait un sacré revirement de domaine d’intérêt, un changement de direction opéré avec talent.
Ainsi, avec son bagage de professeur et sa longue expérience d’essayiste, Antonio Dominguez Leiva, retrace dans son court ouvrage l’évolution de la figure du zombie et tente, comme le pitch officiel l’indique, d’identifier les “ mythèmes et [les] motifs essentiels qui configurent [son] esthétique”.
Dès la première page, nous plongeons donc dans une analyse bien plus basée sur des constats qu’elle n’est démonstrative. Antonio Dominguez Leiva ne cherche jamais réellement à convaincre son lecteur de telle ou telle théorie et, en bon professeur, part de ce que l’on sait tous des zombies et y applique un grand nombre de concepts. Il manie ainsi des faits connus sur le zombie (que l’on a pu déjà lire dans Zombies !, Petite philosophie du zombie ou encore Zombies – Sociologie des morts-vivants) et les confronte à d’autres disciplines, de la philosophie à la sociologie en passant, entre autres, par les différentes écoles de l’esthétisme.
Extrait 1 (page 13) : “Aux lendemains du traumatisme du 11 septembre 2001 et à l’ombre de la pandémie du SRAS, l’année 2002 peut bien être considérée comme l’annus horribilis du retour des zombies, peut-être même de l’invasion “néo-zombie”. Ce fut sans doute un des “effets collatéraux” les plus inattendus de la nouvelle “politique de la Terreur” bushiste. A la tentative hollywoodienne de revamper le monstre popularisé par le média concurrent des jeux vidéo et ainsi capter le public jeune que ceux-ci lui disputent s’ajouta le succès inattendu de l’oeuvre apocalyptique de D. Boyle, 28 Days Later (2002), relecture originale de la trilogie romérienne dans le cadre du nouveau zeitgeist paranoïaque. Le succès conjugué de ces oeuvres au box office lança une véritable “zombie-manie” cinématographique…”
Avec une structure chronologique et thématique, il replace alors le zombie dans le contexte des différentes époques où sa présence était plus ou moins forte dans la culture populaire et l’analyse au regard des mœurs de la société ou encore de la politique internationale. Il veille toutefois à ne pas s’étendre sur les périodes des zombies vaudous et symboles de l’aliénation des masses des années 30 à 70, afin de se concentrer sur la période plus récente (à partir de 2002), qu’il caractérise d’invasion néo-zombie. Il épluche alors cette icône obsédante de notre temps afin de comprendre ce qui la rend si vive, entre la puissance de l’esthétique du macabre, son lien avec les résurrections bibliques, son opposition avec notre ère du culte du corps, son rapport inévitable avec la fin du monde, la peur de l’hybris décadent de l’homme, l’anémie sociale, le mythe du “nouveau barbare” et bien d’autres thèmes encore. Autant de sujets passionnants, qui bien que traités en quelques paragraphes seulement, sont exposés avec une redoutable efficacité. La densité conceptuelle de l’ouvrage découragera sûrement les moins attentifs mais pour peu que vous y mettiez du vôtre, la plume d’Antonio Dominguez Leiva vous fera passer avec douceur d’un concept à l’autre. Le fond et la forme sont ainsi en parfaite harmonie.
Le seul problème est l’importance du risque de tomber sur un concept que l’on ne maîtrise pas totalement. Il faut alors se raccrocher aux nombreux exemples utilisés par l’auteur pour étayer son essai afin de le comprendre. La lecture n’en devient pas floue mais vous amènera, au contraire, à effectuer quelques petites recherches supplémentaires.
Extrait 2 (page 17) : “Ce qui frappe au premier abord dans cette invasion néo-zombie c’est la fidélité au modèle romérien, fixation iconographique qui parachève sa véritable cristallisation mythique dans l’imaginaire collectif du Village global. Le zombie post-romérien relève avant tout de l’esthétique du macabre, n’étant plus un vivant cataleptique mais un cadavre ramené à la vie. Fusion du mutant radioactif des craintes nucléaires et de l’imaginaire ancestral du mort-vivant, le zombie parasite ainsi (en la détournant) la symbolique chrétienne de la résurrection des morts…”
A ce titre, bien qu’extrêmement utiles et souvent pertinents, les exemples et les sources de l’auteur ne sont en revanche pas toujours au niveau de ses écrits. Ainsi, s’il fait un usage remarquable du comic The Walking Dead, on peut critiquer la présence trop importante d’œuvres réellement mineures dans la culture zombie au détriment d’oeuvres bien plus intéressantes. Par exemple, aussi talentueux que soit Steve Niles, son comic Remains est très régulièrement cité alors même qu’il ne s’agit que d’un îlot mineur au milieu de l’océan culturel des comics zombies. De la même manière, il se concentre un peu trop systématiquement sur les mêmes œuvres ne variant pas assez ses références et, quand il ose une référence unique, il l’emploie parfois à tort. C’est notamment le cas lorsqu’il affirme que la trilogie Evil Dead est une œuvre essentielle du canon zombie (alors même qu’il s’agit de possédés capables de parler, de démons et de guerriers squelettes).
Que l’on ne vous y prenne pas. Invasion Zombie, avec sa couverture jaune et attrayante, n’est absolument pas un ouvrage de vulgarisation sur la figure du zombie mais un essai solide qui fait appel à un bagage dense de concepts académiques. 62 pages intenses sur la figure du zombie.
Si vous voulez lire des articles de l’auteur à propos du zombie, vous pouvez visiter la section invasion zombie de son site web.
Extrait 3 (page 51) : “Les créatures deviennent alors des reflets inquiétants des humains. Ils en prolongent les traits, constituant l’extension logique de la corruption, l’ignorance, la peur ou l’avarice qui dominent les propres survivants – microcosme de l’idéologie américaine du “struggle for life” héritée du darwinisme social. Comme le criait un des personnages de Day of the Dead (Romero, 1985) : “Ils sont nous”. “Nous sommes les morts-vivants”, clame à son tour Rick Grimes dans un des moments les plus dramatiques de la série de Kirkman (chapitre 24), cri auquel répond de façon ironique le constat du Gouverneur, monstrueuse Némésis du héros “Dans un sens je les admire presque. Ils sont nous” (chapitre 28). “
merci pour ces extraits et cette analyse, je vais participer au jeu sinon je vais me l’acheter