1
Henry venait d’être informé de la tentative d’évasion ratée de Sarah. Il descendit prestement les escaliers menant au sous-sol et rejoignit Caïn qui observait, à travers une vitre sans tain, l’infirmière examiner la jeune femme dans un laboratoire de fortune.
— Que s’est-il passé ? s’enquit immédiatement Henry.
— Apparemment, tu as tiré le gros lot ! lui lança placidement Caïn sans le regarder.
— Quoi ?
— Ta copine. Elle a une belle morsure à l’épaule !
— Impossible. Elle devrait être morte !
— Effectivement. Elle devrait.
L’infirmière sortit du laboratoire. Elle semblait confuse.
— Alors ? demanda Caïn.
— C’est bien une morsure de zombie, répondit-elle d’un ton dramatique. Les analyses montrent qu’elle est infectée.
— Elle est contagieuse ?
— Extrêmement.
— Pourquoi elle n’a aucun symptôme ?
— Aucune idée. (Elle rajouta d’un ton circonspect.) Je sais que c’est impossible mais je pense qu’elle est immunisée.
— Immunisée ! s’exclama Caïn sur un ton trahissant son étonnement.
Ce mot résonna dans son esprit comme un écho indésirable. Toutes les personnes qu’il avait vues se faire mordre s’étaient transformées, alors comment devait-il réagir face à cette hypothèse ? Tout ce qu’il croyait savoir venait d’être remis en question brutalement, en une fraction de seconde. Ne parvenant pas à y croire, un sentiment l’envahit soudainement. La peur.
Henry était abasourdi. Il fit un pas vers l’infirmière et lui demanda :
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— Comme vous le savez, le virus se propage rapidement dans l’organisme après une morsure et tue son hôte en moins d’une minute.
— C’est un virus foudroyant. On sait ça !
— Mais ce que vous ne savez pas et que montrent les analyses, c’est que le virus est comme qui dirait dormant. Il est bien présent chez elle mais il ne présente aucune activité comme s’il était bloqué par quelque chose.
— Par quoi ?
— Pas la moindre idée. Je n’ai pas l’équipement adéquat pour réaliser des examens plus approfondis.
— Donc, si j’ai bien compris, expliqua Henry, cette femme a dans son organisme quelque chose qui bloque les effets du virus !
— C’est exact.
L’infirmière se tourna vers la vitre sans tain et posa son regard sur Sarah, sanglée au lit. Elle dit :
— On pourrait certainement trouver un remède grâce à elle !
— Conneries ! lança Caïn en ouvrant la porte du laboratoire.
Il entra et resta immobile dans la pièce quelques instants, le temps de digérer les propos de l’infirmière. Il inspira et se posta face à Sarah. Henry entra à son tour.
— Je m’appelle Caïn. Je peux connaître ton nom ?
— Détache-moi immédiatement ! lui répondit sèchement Sarah en se débattant.
— On a fait quelques analyses. On sait que tu es contaminée. Alors hors de question de te relâcher.
Caïn commença à marcher dans la pièce, les mains derrière le dos, comme un militaire.
— Bon… C’est quoi cette morsure ?
Sarah détourna son regard sans un mot.
— C’est arrivé quand ?
Toujours aucune réponse.
Henry prit alors la parole.
— On ne te veut aucun mal. On veut juste comprendre.
— C’est toi, Henry ? demanda Sarah qui sortit de son mutisme. C’est toi qui m’as sortie de la voiture ?
Elle n’avait pas oublié son visage. Henry opina de la tête .
— Écoute… Il faut que je parte d’ici ! Tu sais que je suis immunisée contre le virus. À l’extérieur, il y a des gens qui m’attendent. Grâce à eux, nous pourrions mettre enfin un terme à tout ça !
— Et où se trouvent ces gens ?
— Je ne peux pas te le dire. (Elle marqua une pause en inspirant profondément). Je te demande de me faire confiance.
— Confiance ! s’amusa Caïn.
Il gloussa et s’éloigna de Sarah.
— Où tu vas ? s’étonna Henry en le voyant se diriger vers la porte d’entrée.
L’homme sortit du laboratoire. Il en avait assez entendu. Sarah était une menace pour lui. Il venait de s’en rendre compte, terrifié.
Henry le rattrapa dans le couloir. Il lui agrippa le bras.
— Tu fais quoi, putain ?
— Cette femme ne nous dira rien !
— Laisse-moi lui parler, au moins. Elle semblait plus à l’aise avec moi.
— Non ! tempêta Caïn. Je ne veux surtout pas que tu t’approches d’elle ! On ne sait pas de quoi elle est capable. Il vaut mieux rester prudent.
Henry souffla et lui demanda :
— Et tu comptes faire quoi d’elle ?
— Je ne sais pas, répondit l’homme d’un air détaché. Peut-être la vendre à Palmer.
— La vendre !
— T’as bien compris. Je suis sûr de pouvoir en tirer quelque chose !
— Ce salopard va la refourguer à une bande de dégénérés en chaleur !
— C’est pas mon problème.
Henry était stupéfait par son entêtement. Il ne comprenait pas pourquoi il ne voulait pas l’écouter.
— T’as entendu comme moi les résultats des analyses ! Et si grâce à elle, on pouvait retrouver une vie normale !
— C’est une putain d’infirmière qui a fait ces examens ! grommela Caïn. Trouve-moi un virologue et on pourra peut-être en reparler. Et puis, si elle avait raison, tu serais prêt à la relâcher et risquer la vie de notre groupe ? Imagine qu’elle veuille se venger… Il lui suffirait de mordre une seule personne pour tuer tout le monde. Merde, Henry ! Soutiens-moi, bordel !
— Je ne peux pas.
Déçu par son attitude, Caïn s’éloigna puis se retourna pour ajouter :
— On a besoin d’armes pour survivre contre les zombies. Ça, c’est la réalité ! Je préfère me battre dans le présent et rester en vie plutôt que de mourir pour une vie meilleure qui n’arrivera jamais !
Sur ces paroles, il laissa Henry dans le couloir et remonta à l’étage.
2
Il était deux heures du matin quand Henry jeta un oeil somnolent sur sa montre. Il souffla, dépité. Il s’assit sur le rebord du lit et plongea le regard dans le ciel étoilé, à travers la fenêtre ouverte juste devant lui. C’était une nuit agréable. Les étoiles scintillaient dans le noir et la pleine lune resplendissait. Les grillons s’abandonnaient à leurs chants mélodieux.
Cela faisait des mois qu’Henry n’avait pas correctement dormi, hanté par les atrocités qu’il avait commises. Chaque nuit était une épreuve. Mais cette fois, toutes ses pensées allaient vers une seule personne : Sarah.
Il se leva et enfila des vêtements. Quand les nuits étaient trop longues, il avait l’habitude d’aller sur le mur. Monter la garde l’aidait à réfléchir.
Tout le monde dormait. Henry quitta sa chambre d’un pas traînant et regagna le rez-de-chaussée. Il sortit de la demeure par la porte de derrière, après les cuisines
L’endroit était rassurant et bien entretenu. Les haies étaient convenablement ébranchées et la pelouse soigneusement tondue. Dès leur arrivée au domaine, Caïn avait réparti les tâches. Les survivants avec un entraînement militaire s’occupaient des ravitaillements extérieurs et de la protection du camp ; les autres étaient assignés aux tâches quotidiennes, dont l’entretien des jardins.
Henry emprunta un chemin jonché de galets blancs qui serpentait le long de la demeure. Des piquets luminescents étaient plantés à intervalles réguliers de chaque côté du sentier. Ils traçaient le chemin d’une lumière discrète.
Henry parvint au mur, grimpa sur la parapet et rejoignit une femme assise sur une chaise en plastique. Elle quadrillait l’extérieur avec un fusil-sniper.
— Henry ! s’exclama-t-elle en décollant son œil de la lunette du fusil. Il est un peu tard pour une balade, non ?
— Je vais prendre ta place, si tu veux bien, dit l’homme d’une voix morne.
— Encore ces insomnies !
— Ouais.
— En plus de nous mener la vie dure le jour, il nous empêche de dormir la nuit ! Je te jure. Ce monde aura notre peau !
Henry sourit. La femme accota le fusil à la rambarde et se leva.
— Parait que t’as ramené une femme avec toi, ce matin ! lança-t-elle avec curiosité.
Henry confirma d’un mouvement de tête.
— Et Caïn ? Il a dit quoi ?
— Tu le connais aussi bien que moi.
Il n’avait pas envie de s’étendre sur le sujet, préoccupé par les événements de la journée. La femme s’éloigna alors d’Henry en disant :
— Mon tour de garde se termine dans deux heures.
— Ok.
— Essaie de ne pas t’endormir entre temps.
— Ça ne risque pas.
Elle descendit et disparut dans la pénombre.
De l’autre côté de la barricade une immense forêt s’étendait à perte de vue, plongée dans l’obscurité. Henry prit place sur la chaise. Il se saisit du fusil sniper et vérifia le chargeur. Il posa ensuite le canon de l’arme sur la rambarde en bois. Il colla son œil dans la lunette et balaya la zone en se perdant dans ses pensées.
Caïn était devenu de plus en plus dur, de plus en plus amer. Il exigeait toujours plus. Son statut de chef de groupe avait pris de l’ampleur au fil des mois. Même si Henry trouvait cette situation acceptable, il ne pouvait pas s’empêcher de réfléchir. Jusqu’où irait-il pour conserver sa position ? Le marchandage d’être humain était devenu monnaie courante depuis quelque temps mais vendre Sarah était une énorme erreur. Il le savait.
Caïn et lui se connaissaient depuis le début. Les événements les avaient obligés à se rapprocher, malgré leurs différences. Ils avaient appris à survivre ensemble, à se défendre contre les zombies mais aussi contre les hommes. Dans les moments les plus durs, Caïn s’affirmait. Il avait pris tout naturellement la place de chef à mesure que leur groupe grossissait. Il était devenu un leader incontestable.
Henry plissa les yeux. Un zombie était sorti du bois, d’une démarche dégingandée et l’air hagard. Il visa sa cible et l’abattit d’une balle en pleine tête. Le silencieux au bout du canon étouffa la détonation.
Comment lui faire comprendre qu’il empruntait la mauvaise direction ? Cette femme était immunisée contre le virus. C’était une lueur d’espoir. Henry ne pouvait se résigner à en faire abstraction. Ce cauchemar pourrait prendre fin ! Mais que pouvait-il faire ? Tous se fiaient à Caïn. Il ne pouvait pas remettre en cause ses décisions. Il semblait n’y avoir aucune solution.
Il perçut soudain un craquement provenant des arbres, devant lui, et le reconnut immédiatement. C’était le son d’une branche se brisant sous des pas. Il pointa alors le fusil et patienta.
Une idée traversa son esprit. Pourquoi ne pas l’aider à s’enfuir ? Non. C’était bien trop dangereux. Caïn le condamnerait à mort pour cette trahison. Il chassa cette idée de ses pensées un instant mais elle revint aussitôt, l’obligeant à y réfléchir sérieusement.
Le zombie apparut à l’orée du bois. Il titubait en direction du mur. Henry colla le réticule de la lunette entre les yeux cireux du mort-vivant et le dégomma.
3
Aux premières lueurs du jour, Caïn descendit au laboratoire. Il entra. L’infirmière était auprès de Sarah.
— Comment va-t-elle ?
— Sa cheville se remet doucement. Je pense qu’elle aura totalement récupéré d’ici quelques jours.
— Parfait. Tu peux nous laisser seuls ?
— Bien entendu.
L’infirmière s’exécuta. Caïn tira les rideaux de la vitre sans tain et verrouilla la porte à double tour sous les yeux de Sarah. Il traversa ensuite le laboratoire et observa l’extérieur à travers la fenêtre de la pièce. Les rayons du soleil l’illuminaient.
Sarah le terrifiait. Elle était un menace sérieuse pour lui. Elle pouvait remettre en cause tout ce qu’il avait construit dans ce monde. Il en était conscient.
— Mon plus vieux compagnon de fortune, Henry, pense que je commets une erreur. Il pense que je devrais te laisser partir. (Il marqua une pause et reprit). Le problème avec Henry, c’est qu’il croit pouvoir sauver l’Humanité toute entière ! C’est un bon samaritain. Dans un film, ce serait lui le héros et moi le méchant. Normalement, le héros finit toujours par vaincre le méchant. Mais nous savons tous les deux que nous ne sommes pas dans un film. Au bout du compte, il finira par se faire tuer ou pire, il se fera contaminer.
Il s’écarta de la fenêtre et tourna en rond dans la pièce. Ligotée au lit, Sarah n’avait pas d’autre choix que de l’écouter.
— Avant tout ça… Avant que le monde ne devienne hostile, tu veux savoir comment était ma vie ? Misérable. Je travaillais dans un supermarché où mon chef, un abruti ayant la moitié de mon âge, prenait un malin plaisir à me confier les tâches les plus ingrates. J’étais marié à une femme qui voyait deux fois par semaine son amant dans un motel miteux et mon fils de quinze ans me prenait pour un abruti. J’avais la vie de la plupart des américains. Et puis tout a basculé…
Il s’approcha de Sarah et se posta au-dessus d’elle.
— Je ne sais pas pour quelle raison mais les gens que je rencontrais se fiaient à mon jugement. Ils me suivaient sans discuter. J’étais devenu leur chef ! Comment tu expliques qu’un type comme moi, ordinaire, soit devenu un homme important dans ce monde ? Moi-même, je ne sais pas. Toutes les personnes qui vivent ici comptent sur moi. Ils attendent tous que je prenne des décisions car ils ont tous peur de faire le mauvais choix. Ils veulent des hommes comme moi pour garantir leur sécurité ! Alors, dis-moi… Est-ce que je serais prêt à renoncer à tout ça pour retrouver une vie normale ? Certainement pas !
Sarah commençait à s’inquiéter.
— Je suis un politicien en campagne, poursuivit Caïn d’une voix assurée. J’écrase ceux qui se mettent en travers de ma route !
Il regarda ses mains un instant et saisit brusquement le cou de Sarah en serrant puissamment. La jeune femme manqua rapidement d’air.
— Le sort du dernier espoir de l’Humanité entre mes mains !
Caïn comprimait le cou de Sarah de plus en plus. Les yeux de l’homme s’écarquillèrent sous la pression de ses mains crispées, comme un tueur en série prenant plaisir à voir la vie de ses victimes s’échapper lentement. Des coups frappés à la porte mirent brusquement fin à sa colère et il lâcha aussitôt la jeune femme. Il alla ouvrir.
— Le véhicule est prêt, Caïn ! lui annonça un jeune soldat en restant sur le pas de la porte.
— Parfait. Je veux trois hommes avec moi. Nous partons dans cinq minutes.
— À tes ordres.
Tandis que Caïn quittait la pièce, le jeune soldat fit un pas à l’intérieur et vit Sarah. Elle haletait.
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4 commentaires
pourquoi cain veut tuer sara et pourquoi elle veut s enfuir et aussi elle a ete mordue et elle est encore en vie pourquoi ;beaucoup de questions ,je suis curieuse de savoir au prochain episode c tres bien bravo pour toi
Wouhou, encore de très bons chapitres… Et tu sais quoi (je me permets de te tutoyer, si tu veux bien), j’ai changé d’avis sur Sarah. Elle m’agaçait pour son égoïsme et son manque de reconnaissance envers ceux qui l’avaient sauvée, mais maintenant elle m’intrigue: qui sont donc ces gens qu’elle connaît et qui pourraient mettre fin à toute cette histoire? Seraient-ce quelques scientifiques ayant dégoté les équipements nécessaires ? Mmmh, que de questions… Et maintenant, je comprends aussi mieux son envie de fuir quand on voit le comportement de Caïn, elle a raison de ne pas vouloir rester à proximité de gens qu’elle ne connaît pas, c’est dangereux et la confiance ne doit pas être accordée à la légère.
Concernant Caïn, je comprends sa réticence à laisser partir Sarah, après tout qui sait ce qu’il pourrait se produire, mais la vendre comme esclave sexuelle? Cet homme est devenu une ordure pure et dure. Le pouvoir lui est monté à la tête et il ne sait visiblement plus faire la part des choses. Trouver une immunisée est une chance incroyable, pas un problème, hormis dans sa petite tête de leader perdu.
Bref, tout ça pour dire que j’ai hâte de voir, enfin, lire, la suite.
Sarah est une femme qui cache un grand secret. Bon ou mauvais, ça… l’avenir nous le dira. En tout cas, ravi de te voir fidèle au poste.
Mouarf comme ça doit être horrible d’être porteuse d’une maladie hautement contagieuse ! Surtout qu’à part les morsures, pour l’instant, on ne sait pas trop comment ça se transmet (par la salive ? Les rapports sexuels ? D’où les préservatifs de l’épisode 1 ^^)
Trafic d’êtres humains ? De mieux en mieux dis donc, ce Caïn est plein de surprises !
C’est pas très malin de laisser un insomniac d’occuper de la défense des enceintes de la « ville » ^^
Caïn aurait put écrire sur vdm avant l’apocalypse dis donc, tu m’étonnes qu’il se sente mieux maintenant qu’avant le début de la fin ! Mais bon, c’est assez stéréotypé pour un méchant je trouve. M’enfin, c’est un vilain attachant
« Le sort du dernier espoir de l’Humanité entre mes mains ! » très bien trouvée
Je n’arrive pas à cerner le personnage de Sarah. Un coup, je l’aime bien, un coup elle m’agace, un coup elle me fait pitié… Pfff, que de mystères sur cette femme ! J’ai hâte qu’on en apprenne plus sur elle !!