Épisode 25 – Les sanglots du désespoir
Figées devant la balustrade, leurs regards hébétés plongés en contrebas, Sarah et Stacy fixaient le tableau macabre qui venait de se dessiner devant leurs yeux. La partie supérieure de l’escalier qu’elles avaient emprunté pour se réfugier à l’étage s’était effondrée sur la horde de morts-vivants agglutinée sous l’ouvrage. Visiblement fragilisée lors de leur fuite, elle avait cédé. Elle ne formait plus qu’un amas de barres métalliques qui recouvraient les macchabées. Certains d’entre eux avaient été empalés comme des brochettes de corps en décomposition, d’autres avaient été écrasés sous l’épaisse couche d’acier. Malheureusement, le bruit assourdissant de l’escalier s’étant abattu sur le sol avait attiré d’autres créatures. Elles entraient dans l’entrepôt comme des fourmis excitées par la nourriture. L’heure du dîner avait sonné.
Désespérée de voir autant de morts rejoindre leurs congénères sous la balustrade, Stacy se réfugia dans le bureau. Elle confia le nourrisson à sa sœur, Jenny, assise dans un coin de la pièce et s’éloigna en soufflant. Elles s’étaient bien malgré elles enfermées dans une prison protégée par des gardiens aux cerveaux ramollis. La situation était critique.
— Comment on va faire ? demanda-t-elle à Sarah qui l’avait rejointe. Ces salopards se croient à la fête foraine. Ils entrent par dizaines.
Les mots défaitistes de l’adolescente résonnaient aux oreilles de Sarah comme un avertissement. Elle n’y était pas insensible. Elle savait que le temps jouait contre elles. Sans eau ni nourriture, elles ne tiendraient pas longtemps. Si une solution n’était pas rapidement trouvée, le bureau deviendrait à coup sûr leur tombeau.
Alors, brusquement animée par une rage indescriptible, Sarah se jeta sur l’unique fenêtre de la pièce qui donnait sur la face nord du bâtiment, à l’extérieur. Elle l’ouvrit et se pencha. Vingt mètres, vingt-cinq peut-être, séparaient la jeune femme du sol mais l’endroit était désert. Pas de zombies en vue, seules les étoiles étaient présentes, scintillant dans le ciel. Il y avait peut-être un espoir.
À moins d’un mètre de l’ouverture, une gouttière longeait le mur, du sol au toit du hangar. Sarah étira le bras et testa sa solidité. Elle semblait un peu branlante mais elle supporterait probablement leur poids. De toute façon, elles n’avaient plus le choix. Elles devaient le faire.
La jeune femme regagna l’intérieur du bureau, un large sourire aux lèvres. Intriguée, Stacy se pencha à son tour à la fenêtre et comprit. Elle se retourna et dit :
— T’es pas sérieuse, là !
— Tu vois une autre solution ?
— Oui. On saute dans la mêlée et on met une branlée à ces saloperies !
Sarah ricana.
— Et avec quoi ? Je n’ai plus de munitions et il doit te rester quoi… deux balles ?
— J’ai un chargeur dans la voiture.
— Dans la voiture, oui, qui se trouve derrière ces putains de zombies !
Stacy se pencha à nouveau par la fenêtre comme si elle voulait se convaincre qu’il n’y avait pas d’autre solution.
— C’est très haut… Imagine que ça ne supporte pas notre poids. Pire… Imagine que les Z s’entassent sous nos pieds. On se retrouvera bloquées contre le mur comme des idiotes !
Elle avait peur. Une boule s’était formée dans son estomac. L‘adolescente était prête à tout pour ne pas tenter sa chance suspendue dans le vide. Elle était même prête à affronter des dizaines de morts dans un combat suicidaire.
Elle ferma les yeux. Elle tentait de reprendre le contrôle de ses émotions en inspirant profondément. Sarah avait raison. Il n’y avait pas d’autre issue. Sans munitions, elles ne parviendraient jamais à bout de la horde qui s’était agglutinée dans le hangar comme une volée de mouches qui gravitait autour de son repas.
— Ne t’inquiète pas. Tout se passera bien.
Sarah tentait de rassurer son amie mais elle sentait, elle aussi, l’angoisse qui commençait à la submerger. Elle essayait de le masquer. Elle ne voulait surtout pas rajouter un stress inutile à Stacy en lui dévoilant ses inquiétudes.
Elle rejoignit ensuite Jenny et s’agenouilla face à elle. Le nourrisson dormait toujours aussi paisiblement.
— Va falloir être forte.
— Je sais. Mais j’ai peur.
La jeune femme posa les yeux sur le nouveau-né. Elle voulait le caresser mais elle se ravisa, fermant le poing au-dessus de sa petite tête. Les remarques de Stacy un peu plus tôt dans la journée au sujet de sa fille lui revinrent à l’esprit. Sarah était contaminée. Elle avait le pouvoir d’infecter n’importe qui. Une simple morsure, même une griffure suffisait à transformer un homme en monstre revenu d’outre-tombe. Cependant, même si elle savait pertinemment qu’elle ne contaminerait pas le frère de Jenny simplement en le touchant, elle préféra garder ses distances. Les remontrances de Stacy au bunker lui paraissaient subitement bien plus fondées qu’elle ne l’avait pensé le matin même.
— Comment va-t-il ? demanda-t-elle, envahie par le doute.
— Bien. Mais je pense qu’il a faim.
Sarah se redressa sans répondre. Elle éprouvait le besoin de s’éloigner de l’enfant. Son visage innocent la plongeait dans une profonde tristesse. Il ne se rendait pas compte du monde dans lequel il vivait. Il était si calme, si apaisé. Il n’éprouvait ni peur, ni joie, il ne craignait pas les créatures qui hurlaient comme des animaux dans le hangar. Rien ne perturbait sa quiétude. C’était justement cette innocence qui émut Sarah. Elle ne se souvenait plus de la dernière fois où elle s’était sentie sereine. Elle ne se rappelait d’ailleurs presque plus du monde avant l’apocalypse. Elle luttait tellement chaque jour pour survivre que le mot « vivre » avait disparu de son vocabulaire.
Elle se rua alors sur les armoires en espérant effacer le visage de l’enfant de son esprit. Elle les ouvrait une à une sans véritablement savoir ce qu’elle cherchait. Elle voulait simplement ne plus penser.
Ses yeux se noyèrent subitement de larmes. Elle serra les dents pour ne pas craquer mais le mur qu’elle avait érigé dans son esprit et qu’elle pensait invulnérable commençait à s’effriter. Elle luttait mais il vola en éclat. Il n’était plus qu’un champ de ruines laissées à l’abandon. Sarah tenta de reprendre le dessus sur ses émotions en vain. Son cœur trembla et elle laissa échapper un petit gémissement. Elle s’agrippa aux étagères de l’armoire et elle fondit en larmes.
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