1
Assis sur une chaise dans la chambre de Stacy, Henry nettoyait le Colt que Robert lui avait offert. Il introduisit un goupillon humide dans le canon de l’arme et le récura avec vigueur. Puis il imprégna un coton-tige avec du solvant et l’appliqua sur la crosse avec soin.
Stacy entra, sa fille dans les bras. Elle posa les yeux sur Henry et referma la porte.
— T’es pas obligé de faire ça, tu sais ! dit-elle en berçant tendrement le nourrisson.
— Je sais, répondit Henry en levant les yeux vers l’adolescente.
Il reporta son attention sur son Colt et l’essuya délicatement avec un chiffon.
— Alors pourquoi tu y vas ?
— Il y a un homme qui a besoin d’aide. Les personnes de ton groupe n’ont pas l’air de s’en soucier plus que ça.
— Ne les juge pas trop vite. Ils sont passés par des moments difficiles.
— Moi aussi ! Pourtant, je ne me retranche pas dans le bunker en espérant que les choses se tassent.
Henry inséra les balles dans le barillet du Colt et se leva. Il posa la main sur l’épaule de l’adolescente et lui offrit un sourire.
— Ne t’inquiète pas pour nous. Tout se passera bien.
— Je sais.
— Qu’est-ce qu’il te fait peur, alors ?
— Taylor.
— Rassure-toi. Je te la ramènerai en un seul morceau.
Henry sortit de la chambre sous le regard inquiet de Stacy. L’adolescente posa le nourrisson dans son berceau et commença à chantonner une berceuse. Elle avait certes peur pour Taylor mais ce qu’elle redoutait le plus, était de devoir élever sa fille dans ce monde. Trouverait-elle le courage et la force de la protéger des dangers ? Saurait-elle être une bonne mère ? Elle fixa avec tendresse le nourrisson et, quand il lui sourit, elle fondit en larmes.
Henry traversa le couloir. Les personnes qu’il croisait le dévisageaient. Leur mécontentement se lisait sur leurs visages. Il sortit du corridor et rejoignit Taylor dans la salle de repos. La jeune femme entretenait une discussion houleuse avec le vieil homme à la canne.
— Tu ne peux pas abandonner ton groupe pour Phil ! dit le vieil homme avec véhémence. Ce type a tout fait pour prendre ta place !
— Mais il fait partie des nôtres ! rétorqua Taylor.
— Tu crois que je ne le sais pas !
— Henry a raison. Sans solidarité, on ne tiendra pas longtemps. Bordel ! Ce gars vient à peine d’arriver et il est le seul à se porter volontaire. Comment je dois le prendre, à ton avis ?
— Les gens ont peur, Taylor ! Ils ont peur de mourir. Tu ne peux pas le leur reprocher.
Le vieil homme remarqua la présence d’Henry sur le pas de la porte. Il ravala ses mots et souffla presque gêné.
— Tu fais une énorme erreur en y allant ! ajouta-t-il d’une voix grave.
Il se dirigea vers la sortie en traînant sa canne. Il croisa Henry en évitant son regard et sortit de la pièce.
— Tout va bien ? demanda Henry en entrant.
— Ouais, expira Taylor, les mains appuyées contre la table et les yeux plongés dans le vide.
— Tu veux que je te laisse un moment seule ?
— Non. Ça va.
La jeune femme se redressa et prit une carte enroulée sur une des étagères. Elle la déplia sur la table.
— Phil se trouve dans une salle de l’aile ouest.
Henry se posta à côté d’elle et se pencha sur la carte. En y regardant de plus près, il remarqua une ligne rouge serpentant à côté des galeries.
— C’est quoi ça ? demanda-t-il en désignant le trait.
— La rivière, répondit Taylor. Elle descend de la vallée et passe au-dessus des galeries jusqu’au barrage. (Elle réfléchit un instant et ajouta.) Regarde. Il y a deux itinéraires pour rejoindre la pièce où se trouve Phil.
— Un par le sud et un par le nord.
— Exact. Si on passe par le sud, on fait un détour de près d’un kilomètre.
— Et par le nord ?
— Deux cents mètres tout au plus.
— Aucune hésitation, dans ce cas.
Taylor se tourna vers Henry en plissant le front.
— Sauf que c’est dans ce secteur que les zombies ont été aperçus, expliqua-t-elle. (Elle se pencha sur la carte et fixa les tracés d’un air inquiet.) Je ne peux pas prendre cette décision. La dernière fois que j’ai envoyé mes gars là-dedans, ils ne sont pas revenus. (Elle souffla.) Je te laisse choisir.
Prendre des décisions était une habitude pour Henry depuis sa rencontre avec Sarah. Il avait décidé de la sauver des zombies lors de son accident de voiture, de la ramener au camp, de trahir Caïn près de la ferme, puis il avait secouru Stacy sur la nationale. Tous ces choix l’avaient conduit dans ce bunker. Alors désigner un itinéraire, même infesté de morts-vivants, ne lui faisait pas peur.
— Par le nord ! s’exclama-t-il.
Taylor se rangea à son choix et replia la carte. Stacy entra dans la pièce, une barre de fer entre les mains.
— Où tu comptes aller, comme ça ? s’enquit Taylor en reposant la carte sur l’étagère.
— Je peux pas vous laisser y aller seuls ! répondit l’adolescente sur un ton péremptoire. Je viens avec vous.
— Hors de question !
— Mais…
— C’est bien trop dangereux, Stacy.
— Je sais me défendre ! J’ai pas besoin qu’on me traite comme une gamine !
— T’as raison, dit Taylor en s’avançant vers elle. Tu sais te défendre. C’est pour ça que j’ai besoin de toi ici. Je besoin de quelqu’un pour veiller sur les autres. Tu comprends ?
— Tu n’essaierais pas de m’amadouer, par hasard !
— Peut-être un peu, si.
Stacy sourit. Taylor la prit dans ses bras avec une grande émotion.
— Je serai de retour rapidement.
— T’as intérêt, répondit l’adolescente.
Après quelques secondes d’une douce étreinte, Stacy s’écarta de la jeune femme en baissant la tête pour cacher ses larmes et sortit de la pièce sans un mot. Taylor inspira profondément et se tourna vers Henry.
— T’es prêt ?
— C’est parti ! lança l’homme en suivant Taylor hors de la pièce.
Il éteignit la lumière et ferma la porte derrière lui.
2
Postée en haut des marches, Taylor balaya la zone avec son arme. L’immense porte coupe-feu était ouverte et un corps gisait au pied de l’escalier. La jeune femme descendit prudemment et se pencha au-dessus du cadavre.
Il avait été dévoré par les zombies et baignait dans une mare de sang. Son ventre avait été grossièrement évidé dans une mélasse indescriptible de chair et de sang. Sa jambe gauche était sectionnée au niveau du genou, l’autre moitié s’étendait un peu plus bas. Tous ses doigts avaient été arrachés et ses bras avaient été rongés jusqu’à l’os. Des lambeaux de chair traînaient sur les marches ensanglantées.
— C’est qui ? demanda Henry en la rejoignant, son Colt braqué devant lui.
— Cory, répondit Taylor d’une voix morne. C’est un des gars que j’ai envoyés. (Elle souffla, dépitée.) Putain ! C’était qu’un gamin.
Henry enjamba le cadavre et se posta devant le digicode fixé à côté de la porte coupe-feu.
— C’est possible de verrouiller l’accès ?
Taylor fixa une dernière fois le corps de Cory avec le sentiment que tout était de sa faute. Elle détourna ses yeux emplis de tristesse et les posa sur Henry.
— Il faut un code, répondit-elle en prenant sa place, face à l’appareil.
Elle tapa des chiffres sur le clavier et valida. Une sirène retentit alors bruyamment, comme l’écho assourdissant d’une alarme, et la porte coupe-feu commença à glisser sur le côté dans un tintement de roulement mécanique. Taylor et Henry entrèrent dans le vestiaire avant que l’immense porte ne heurte le mur et ne s’immobilise. L’ampoule verte s’éteignit. L’ampoule rouge s’illumina en crépitant. L’accès était verrouillé.
— C’est quoi cet endroit ?
— L’ancien vestiaire des ouvriers lors de la construction du barrage, répondit Taylor en déposant son arme dans un des casiers. (Son regard s’arrêta instinctivement sur le Colt d’Henry.) Il va falloir la laisser ici !
— Euh… Tu parles de quoi ? De mon arme ?
La jeune femme opina de la tête.
— Tu plaisantes ! s’étonna l’homme. Il est hors de question que j’arpente les galeries sans elle !
— Quand ils ont creusé, les ouvriers sont tombés sur une poche de méthane et l’ont percée. Le gaz s’est répandu dans l’air comme un cancer.
— Du méthane ? C’est dangereux ce truc-là ?
— Une faible concentration n’est pas nocive pour la santé. Par contre, ça reste extrêmement inflammable. Une seule étincelle et on fait partie du passé. Alors, à moins que tu veuilles finir en côte de porc grillée, t’es obligé de laisser ton arme !
— Et si je la garde simplement avec moi ?
— Désolé. Les règles sont les mêmes pour tout le monde. La tentation de s’en servir est trop grande et les vieux réflexes sont tenaces.
Elle prit une hache et la lui lança. Henry la rattrapa d’un air circonspect. Il posa résigné son Colt dans le casier et dit :
— On y va à l’ancienne, alors !
Un sourire se dessina sur le visage de Taylor. À l’ancienne ! L’expression était juste. Elle s’équipa d’une vieille machette et d’une lampe torche. Elle se posta ensuite face à la porte qui menait aux galeries, et posa la main sur la poignée.
— Prêt !
Henry enserra le manche de sa hache avec les deux mains et prit une large bouffée d’oxygène pour se donner du courage. Taylor tourna la poignée. La porte s’ouvrit lentement en craquant.
Les couloirs étaient sombres. Rien ne laissait passer la lumière. Une désagréable odeur émanait de cet endroit. Ce n’était pas le méthane, il était inodore. C’était autre chose, âcre et rance à la fois. Le bruissement de l’eau de la rivière chuintait en frottant contre les parois. Des grandes fissures lézardaient le plafond et, parfois, des filets de poussières s’en échappaient.
Henry fit un pas dans la galerie. La froideur de l’endroit ne le rassurait pas. Il jeta un œil de chaque côté. La voie était libre. Il fit un geste de la main à Taylor qui le rejoignit aussitôt, sa torche braquée devant elle.
Ils progressaient prudemment dans le couloir quand un zombie, le visage à moitié dévoré, apparut à une intersection. Il se rua sur Henry en hurlant. L’homme leva la hache par-dessus son épaule et frappa le macchabée quand il se présenta devant lui. La lame se planta violemment dans le cou du monstre. Henry la retira et frappa à nouveau. La tête du mort-vivant se détacha alors dans un jaillissement de sang.
Un autre zombie surgit brusquement. Taylor s’élança et enfonça sa machette dans son crâne. Le cadavre s’écroula. Des grognements résonnèrent soudain, parcourant les galeries comme un écho indésirable. Les monstres étaient partout.
— Ils sont trop nombreux ! s’inquiéta Henry en accélérant le pas. (Sa tête pivotait dans tous les sens, au rythme de chaque hurlement.) On n’y arrivera pas.
— Phil n’est plus très loin !
Chacun de leurs pas les rapprochait de la pièce où se trouvait Phil, mais sonnait également le compte-à-rebours d’une rencontre imminente avec une horde de morts-vivants. Ils étaient au cœur de l’enfer.
Ils empruntèrent une autre galerie et tombèrent nez à nez sur un groupe de zombies titubant dans leur direction. Ils se figèrent. En les apercevant, les monstres s’immobilisèrent à leur tour et grognèrent. Il était trop tard pour fuir. La confrontation semblait inévitable.
Les morts soufflaient comme des animaux. Ils observaient leurs proies en attendant le meilleur moment pour attaquer. Cela parut une éternité à Taylor qui fixait chacun de leurs visages lacérés. Elle haletait et serrait fermement sa machette. Henry fit un pas et se posta à côté de la jeune femme. Leurs regards se croisèrent. Ils comprirent qu’ils ne se battaient plus pour secourir Phil mais pour protéger leurs vies.
Les monstres, peut-être sept ou huit, grognèrent une dernière fois et chargèrent comme des prédateurs enragés. Henry entra dans la mêlée, tenant sa hache d’une main, et balaya la zone avec virulence. À chaque coup, il leur arrachait un morceau de crâne et de cervelle dans une indescriptible cacophonie. Le craquement des os se brisant sous sa lame le rendait fou-furieux. Des éclats virevoltaient tout autour de lui et le sang l’éclaboussait.
D’un geste vif et précis, il sectionna les bras d’un zombie qui s’approchait de lui en ouvrant la gueule. Il le décapita ensuite. Son sang jaillit de son cou comme un geyser et mouilla le plafond. Le corps s’écroula. Henry se tourna, leva furieusement sa hache et coupa un cadavre en deux. Les organes putréfiés du mort tombèrent lourdement à ses pieds et formèrent un agrégat rougeâtre. Les deux morceaux de son corps se séparèrent et s’écroulèrent chacun d’un côté comme deux carcasses de viande froide.
De son côté, Taylor retirait sa lame du crâne d’un zombie. Un jet sanguinolent jaillit et le corps s’effondra. Elle se retourna et évita les mains décharnées d’un monstre. Elle les lui sectionna en pivotant. Elle leva ensuite sa machette et la laissa retomber violemment sur sa tête.
Un macchabée surgit tout à coup. Taylor lui mit un violent coup de poing au visage. Le mort recula de quelques pas et elle le décapita. La tête tomba au sol et roula jusqu’aux pieds d’Henry qui retirait sa hache de la joue de l’un d’eux. Il se retourna et lança son arme sur un zombie qui se rapprochait trop près de Taylor. Cette dernière ne l’avait pas vu. Ses yeux s’écarquillèrent quand elle sentit la hache lui frôler le front pour aller se planter dans la tête du macchabée.
— On n’en viendra pas à bout comme ça ! s’exclama Henry.
Un autre groupe surgit au bout du couloir en hurlant comme des bêtes. Ils s’entassaient les uns les autres pour être le premier sur leur proie.
— T’as raison ! s’écria Taylor.
Elle regarda tout autour d’elle. Les zombies commençaient à les encercler. Ils seraient bientôt pris au piège.
— Suis-moi ! ajouta-t-elle en tournant les talons.
Henry repoussa deux monstres qui s’étaient jetés sur lui. Il récupéra sa hache et suivit Taylor qui s’était engouffrée dans un autre couloir.
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1 commentaire
juste une petite faute: le méthane est inodore pas indolore